« Vers un rôle d’assemblier innovant et engagé au service de la santé et des solidarités de demain » : la formule comprend à la fois la raison d’être des mutuelles et la transformation des métiers mutualistes qui en résulte. Elle synthétise la première phase d’une étude prospective lancée à l’initiative de l’Observatoire de l’Emploi et des Métiers en Mutualité (OEMM) sur le thème : « Les métiers de la Mutualité à horizon 2032. » Ces travaux ont été initiés au printemps 2024 et viennent de déboucher sur un premier rapport qui est désormais public. Objectifs de cette étape : établir un diagnostic commun des principaux facteurs de transformation à l’œuvre dans le secteur mutualiste puis proposer un scénario de référence afin d’anticiper leurs impacts.

Ces résultats ont d’abord été présentés dans un cercle paritaire, lors d’un webinaire organisé le 14 novembre 2024. Les enjeux sont de taille, a expliqué à cette occasion Claire DEPAMBOUR, Présidente de l’OEMM (CGT). Parmi les questions posées : « Dans un contexte de profondes mutations, comment les mutuelles pourront-elles continuer à défendre des valeurs de solidarité et de fraternité, à la fois pour leurs adhérents et leurs salariés ? Comment peuvent-elles se différencier de leurs concurrents et assurer leur pérennité ? Les attentes des adhérents en matière de soins et de prestations ont-elles des répercussions sur les métiers mutualistes ? Comment concilier le développement de l’intelligence artificielle et l’attachement à la relation humaine ? »

Trois rapports à venir déclinés par familles de métiers mutualistes

La valeur des travaux prospectifs de l’OEMM tient notamment à leur dimension paritaire. « Le but des travaux de l’Observatoire est d’éclairer l’ensemble des partenaires sociaux et d’accompagner les mutuelles dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, indique Isabelle LORENZI, Vice-Présidente de l’OEMM et membre du Bureau de l’ANEM. « Cette nouvelle étude innove en analysant l’ensemble du périmètre d’activité des mutuelles et unions mutualistes : le rôle de représentation et de prévention (Livre 1 du Code de la Mutualité), le champ assurantiel (Livre 2) et le secteur sanitaire et médico-social (Livre 3) », précise-t-elle.

« En matière de méthode et de calendrier, ce premier rapport sur le diagnostic commun et les axes d’évolution prospectifs a été élaboré selon une démarche collaborative, relate Aurélie BOUTET, Responsable du Pôle Développement RH et RSE à l’ANEM. Une quinzaine d’entretiens approfondis avec des responsables mutualistes a été réalisée par le cabinet Elezia Conseil, qui accompagne la branche Mutualité. Il faut y ajouter des échanges avec des acteurs de secteurs proches du monde mutualiste, dans les domaines de la santé, de l’assurance et de la protection sociale complémentaire. » L’étude se poursuivra jusqu’en 2026, avec des rapports déclinés par grandes familles de métiers : les fonctions supports, les activités assurantielles puis le secteur sanitaire et médico-social.

Le scénario de référence a été élaboré sur la base d’une analyse des impacts pressentis des facteurs de transformation sur les activités des mutuelles, à la croisée des évolutions politiques, règlementaires, technologiques, économiques, sociales et environnementales. « Au total, 20 facteurs de transformations clés ont été identifiés, rapporte Fayçal KHATTAB, Associé Protection sociale, Santé & assurance chez Elezia Conseil. Parmi eux, 12 sont d’ordre stratégique et 8 relèvent des enjeux RH en matière de recrutement, d’attractivité, de fidélisation et d’évolution des attentes des salariés. »

« Des facteurs de transformation disruptifs pour les mutuelles »

Quatre facteurs de transformation stratégiques ont, en particulier, un niveau d’impact pressenti « très fort » sur les activités et les métiers mutualistes. « Ce sont des facteurs disruptifs, qui produisent un changement de paradigme et invitent à repenser la chaîne de valeur et les activités des organismes mutualistes », prévient Fayçal KHATTAB. Il s’agit des facteurs suivants :

  • L’intensification de la concurrence et l’accroissement des pressions économiques :  ce phénomène est déjà bien connu dans le secteur de l’assurance, où il se combine avec un niveau d’exigence accru en matière règlementaire et prudentielle. Mais les activités sanitaires et médico-sociales du Livre 3 sont aussi concernées, « avec de nouveaux entrants qui font une promesse de low cost », indique Fayçal KHATTAB ;
  • La bascule de l’individuel vers le collectif : après la généralisation de la complémentaire santé des salariés en 2016, la réforme s’étend depuis la PSC en 2025 aux agents de la Fonction publique, qui s’alignera sur le secteur privé en matière de participation de l’employeur. Ce changement implique une restructuration des processus internes et des stratégies de distribution et de gestion.
  • La digitalisation : elle renforce l’intégration des technologies numériques dans la gestion et l’accompagnement des patients et adhérents. Cela entraîne une sécurisation accrue des systèmes, une réponse aux besoins de protection des données, et l’adoption de pratiques responsables et éthiques.
  • Le développement et l’intégration de l’intelligence artificielle : l’IA va « révolutionner » les mutuelles en automatisant les processus et en repositionnant les salariés sur des tâches à haute valeur ajoutée. Cela permettra de renforcer la qualité de l’interaction avec les adhérents tout en nécessitant un accompagnement humain accru, « notamment dans la gestion des situations complexes et émotionnellement chargées. »

Et du côté des ressources humaines ? Elyze CASTAING, Associée Emploi, Compétences & Insertion au sein du cabinet Elezia Conseil, met en lumière 3 facteurs de transformation RH majeurs :

  • Les enjeux de Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP) : « Les jeunes générations sont à la recherche de parcours diversifiés au sein des entreprises », observe Elyze CASTAING. Cela appelle de la part des organismes mutualistes une attention particulière pour individualiser les parcours et offrir des opportunités de mobilité interne. Des passerelles devront être facilitées entre les différentes activités des mutuelles.
  • Les pressions sur le recrutement et l’attractivité : les mutuelles vont devoir développer des stratégies innovantes de recrutement, en se positionnant notamment sur le terrain des valeurs. Il sera également nécessaire de mettre en place des filières d’alternance pour former et fidéliser les talents. Élyze CASTAING évoque également la piste de la « mutualisation des compétences rares entre les mutuelles ».
  • L’évolution des modes de travail : les modes de travail vont continuer d’évoluer vers plus de flexibilité, avec un recours accru au télétravail et l’adoption de modèles comme la semaine de quatre jours. Ces facteurs vont transformer « profondément » les organisations. « L’adaptation des espaces de travail pour encourager la collaboration et l’intégration des talents » seront aussi essentielles, indique le rapport.

Le rôle central des ressources humaines dans l’accompagnement du changement

À partir des impacts pressentis de ces facteurs clés de transformation, 4 axes d’évolution prospectifs stratégiques, complétés par un axe spécifiquement RH, ont été identifiés pour anticiper la transformation des métiers mutualistes. « Ces axes se combinent, voire s’alimentent, pour composer le scénario de référence », précise Céline LOISEAU, Déléguée générale de l’ANEM. Les 4 axes d’évolution prospectifs stratégiques se décrivent ainsi :

  • « Un mutualisme réaffirmé », qui revient au modèle d’acteur global sur le champ de la santé holistique ;
  • « Un mutualisme augmenté », qui prend en compte la transformation majeure du numérique et de l’IA et de la santé numérique ;
  • « Un mutualisme engagé », qui promeut les synergies au sein de l’écosystème de l’ESS dans le cadre d’une politique de santé inclusive et participative ;
  • « Un mutualisme offensif », qui s’inscrit dans une logique compétitive de marché et allie performance sociale et économique.

« L’une des originalités de cette étude a consisté à faire le lien avec la politique de ressources humaines pour concevoir un axe prospectif spécifiquement RH, qui vient en soutien des 4 axes métiers. Cet axe RH met l’accent sur les enjeux d’innovation et de durabilité dans l’accompagnement des parcours professionnels », souligne Céline LOISEAU. « La fonction RH devient centrale pour accompagner les axes stratégiques », ajoute Elyze CASTAING.

« Le scénario de référence a été construit de manière paritaire et chaque mot a été pesé », atteste Fayçal KHATTAB, du cabinet Elezia Conseil. « Le rôle d’assemblier fait référence à la fois à la capacité des organismes mutualistes à assembler des savoir-faire, des activités, mais aussi des compétences. Cette notion vaut donc à la fois pour les activités et les métiers mutualistes. » Les organismes disposent donc désormais d’une analyse prospective qui trace une ligne de mire. Chacun peut y puiser des solutions pour définir sa ligne stratégique à horizon 2032.

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